Martinet & Texereau
CRITIQUE

par Stanislas Colodiet

Martinet & Texereau
Critic
By Stanislas Colodiet

« Il ne fait pas plus chaud aujourd'hui qu'hier, il ne fera pas plus chaud demain qu'aujourd'hui, impossible, et ainsi de suite à perte de vue, à perte de passé et d'avenir »

S. Beckett, in Ô les beaux jours!

«...It's not hotter today than yesterday, it will be no hotter tomorrow than today, how could it, and so on back into the far past, forward into the far future. ...»

S.Beckett, in Happy Days

L'oeuvre de Martinet et Texereau fait écho à celle de Beckett, gesticulations incertaines face à la banalité des choses. L'attente règne en majesté. Les dessins nous donnent à regarder ces espaces tiers qui meublent le quotidien que l’œil voit sans s'y attarder. Posés comme des évidences en travers de notre chemin, nous ne pouvons nous résoudre à les accueillir avec la simplicité avec laquelle ils se présentent. C'est là que réside tout le potentiel surréaliste de ces dessins, le quotidien aseptisé devient soudainement menaçant. L’œil n'est jamais innocent, le regard coupable, prête alors à chacune des composition une portée symbolique. Que signifie cette obsession du seuil ? Quelle présence habite chaque angle ? Quelle issue pour cette nature domestiquée ? Héritier lointain du réalisme magique, chaque image dans sa simplicité ostentatoire semble dissimuler un monde à la Piranèse.

Martinet et Texereau arpentent les espaces anonymes et offrent un regard à ces cultures sous vide. C'est le vertige de l'infini qui nous prend lorsque l'on se surprend à regarder ces inventaires dessinés. Ce monde organisé où le rêve dénoncé est appelé sur le banc des accusés. Déconstruction du mythe de l'exotisme par l'image même, leur dessin révèle l'aphorisme des palmiers qui crient « détente ! détente ! » comme on crie à l'aide. Le velouté du crayon assassine ainsi les paradis épuisés. Alors que la divagation des nuages se fond dans la neige télévisuelle, les promesses de demain sont imprimées dans un catalogue de vacances. La litanie du bien être récitée à quatre mains nous interroge sur le sel du quotidien.

Il y a quelque-chose de la peinture nordique dans ces dessins. Tout d’abord une poésie de l’espace qui s’organise autour du vide. Dans leurs compositions l’espace est pesé, il a son importance. Il n’est pas la contreforme accidentelle de ce qui est décrit, mais il est la moelle du dessin, l’armature autour de laquelle gravitent quelques indices de l’activité humaine. L’absence de sujet pose le spectateur au cœur de l’image, l’espace est objet d’un regard qui se surprend à méditer sur le néant. Dessiner le vide c’est aussi la tentative de représenter la lumière, ou du moins l’atmosphère qui envahit le rien, tâche d’autant plus hardie avec une simple paire de crayon. La définition des volumes permet peu à peu de décrire les rayons qui en épousent la texture. Ascèse de moyens maîtrisée, le résultat n’en est que plus spirituel. C’est plusieurs siècles de représentation en volume et lumière qui aboutirent aux compositions de Mondrian. Zoé et Pauline partagent avec cette peinture le culte de la ligne. La ligne d’horizon, la ligne d’angle, la trame tendue vers l’infini.

Inscrit dans l'ADN de leur dessin, le goût pour la géométrie qui encadre nos vies. Carreaux et canisses, dalles et miroirs, partout la ligne et l'angle, à la poursuite du vide, comblent l'absence. Aussi faut-il faire taire la courbe et les feuillages se dressent droit comme des épis. Tout semble calculé, chaque forme mesurée, comme dans les modèles mathématiques de l'Institut Poincaré. Le réel enchâssé dans la proportion au service de la construction. La course de la règle contient la ligne du crayon. On sent que l'esprit préside à cet univers où pourtant la poésie s'épanche. Car même à huis clôt dans un monde désenchanté, Beckett avait envisagé qu'une femme aurait assez de fantaisie pour résister, et elles sont deux.

Grâce à la poésie elles évitent les apories d’un dessin trop systématique. Imaginez les deux héroïnes à huis clos sur une île norvégienne, un scénario dont l’issue dramatique semble déterminée par son environnement. Comment goûter l’esprit du lieu sans plonger dans la nostalgie des espaces déserts ? Comment digérer tant de solitude sans grandir en ermite? C’est justement au seuil du dessin que s’affirme la volonté ! Dessiner, c’est se jeter, se battre à corps à corps avec le réel pour mieux l’ingérer, la sensibilité comme estomac. Créer c’est poursuivre l’espoir d’une jubilation à la sortie de l’œuvre. Certains artistes sautillent face au chevalet lorsque les dernières couleurs sont posées, d’autres dansent… Gageons que les deux dessinatrices retiennent leur souffle jusqu’au bout du dessin, en apnée dans l’entrelacs des lignes, et qu’elles sont parmi les rares à connaître la saveur d’une bouffé d’air.

The work of Martin and Texereau echoes that of Beckett, uncertain gesticulations facing the banality of things. Waiting reigns in majesty. Their drawings provide these third areas filling every day where our eyes pass but don’t linger. Posed as evidence across our path, we cannot resign ourselves to welcome them with the simplicity with which they occur. It is there that all the surrealist potential of these drawings domiciles, the sanitary usual suddenly becomes threatening. The eye is never innocent, the look is guilty, lending a symbolic meaning to all the compositions. What is this obsession with the threshold? What presence inhabits every angle? What outcome for the domesticated nature? Distant heir of magic realism, each image in its ostentatious simplicity seems to hide a world à la Piranesi.

Martin and Texereau roam the anonymous spaces and offer a look at these cultures sous vide. Vertigo is what we feel when we are caught looking at these drawn inventories. This organized world where the denounced dream is called for testimony. Deconstruction of the myth of exoticism by the image itself, their drawing reveals the aphorism of the Palm trees that shout "relaxation." relaxation! " as one would for help. The smoothness of the pencil murders thus exhausted paradise. While straying clouds blend into television snow, the promises of tomorrow are printed in a holiday catalog. The litany of the good, recited at four hands, questions the essence of things.

There's something of Northern painting in these drawings. First of all a poetry of space which is organized around the emptiness. In their compositions the space is weighed, it has its importance. It is not the accidental contreforme to what is described, but it is the marrow of the drawing, the frame around which revolve a few clues of human activity. The absence of subject poses the viewer in the heart of the image, the space is subject to a look that catches itself meditating on nothingness. Drawing vacuum is also an attempt at representing light, or at least the atmosphere that pervades the nothing, task all the bolder with a simple pair of pencil. The definition of the volumes gradually allows to describe the rays espousing the texture. Abstemious of controlled means, the result is all the more spiritual. It is several centuries of representation in volume and light that culminated in the compositions of Mondrian. Zoe and Pauline share with him the worship of the line. The horizon line, the angle line, the edging stretched to infinity.

Inscribed in the DNA of their design: the taste for geometry that frames our lives. Reeds and tiles, slabs and mirrors, everywhere lines and angles in pursuit of emptiness, filling the absence. Therefore the need to silence the curve and make foliage stand straight. Everything seems calculated, each form measured, as in the mathematical models of the Poincare Institute. The real enshrined in the proportion in the service of the construction. The race of the rule contains the pencil line. We feel that the spirit presides over this universe yet it nurtures poetry. Because even locked up a disenchanted world, Beckett had considered that a woman would fancy to resist, and they are two.

Through poetry they avoid the uncertainties of a too systematic drawing. Imagine the two heroines caught on a Norwegian Island, a scenario whose dramatic outcome seems determined by its environment. How does one taste the spirit of the place without diving into the nostalgia induced by these deserted spaces? How does one endure that much solitude without becoming a hermit? The will is asserted at the dawning of the drawing. Drawing, it's flowing, it is fighting hand-to-hand with reality to better ingest it, your sensibility acting as a stomach. Creating is continuing in the hope of a jubilation at the exit of the artwork. Some artists jump on their feet when the latest colors are laid, others dance... We bet that Pauline and Zoe are holding their breath until the end of the drawing, snorkeling in the interlacing of lines, and that they are among the few to know the flavor of a breath of air.

Stanislas Colodiet